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La 3e édition du Symposium économique africain (AES), tenue à Rabat les 14 et 15 juillet 2025, a rassemblé des penseurs, décideurs politiques, banquiers centraux et acteurs du développement pour une mise à plat franche des fragilités macroéconomiques du continent et des voies de transformation structurelle.
De la soutenabilité de la dette à la coordination monétaire-fiscale, de la Zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECA) à l'industrialisation verte et aux financements climatiques, les discussions ont convergé sur une idée directrice : seules des stratégies adaptées aux réalités africaines et orientées vers l'inclusion pourront convertir la volatilité actuelle en résilience et en opportunité.
Au fil des sessions plénières et des groupes thématiques, les participants ont insisté sur l'urgence de réviser certains cadres hérités – qu'ils soient monétaires, budgétaires ou commerciaux – devenus inadaptés face à la multiplication des chocs externes, aux pressions climatiques et à la montée des contraintes de service de la dette.
L'AES a servi d'espace de débat critique, mais aussi de laboratoire d'idées prospectives, ouvrant la voie à des coalitions d'action entre États, institutions régionales, secteur privé et partenaires techniques.
Plusieurs intervenants ont souligné que de nombreuses banques centrales africaines opèrent sous des contraintes multiples : chocs de prix importés, volatilité des matières premières, dollarisation partielle, marchés financiers peu profonds et autonomie politique limitée. Dans ce contexte, un ciblage strict de l'inflation peut entrer en tension avec les impératifs de stabilisation de l'activité et de soutien à l'emploi.
Ce qui est proposé :
- Évoluer vers des mandats plus larges qui intègrent, aux côtés de la stabilité des prix, la croissance inclusive et la résilience macrofinancière.
- Renforcer la coordination entre politique monétaire et politique budgétaire, notamment pour lisser les cycles et protéger l'investissement productif.
- Développer des outils adaptés au contexte africain : facilités de liquidité contracycliques, cadres macroprudentiels liés aux risques climatiques, mécanismes de soutien au crédit domestique ciblé.
- Mieux articuler les réponses des banques centrales avec les stratégies climatiques nationales, afin de prendre en compte les risques physiques et de transition dans la stabilité financière.
Les débats ont mis en lumière un point crucial : pour nombre de pays, le problème central n'est pas tant le niveau absolu de la dette que le poids croissant de son service. Dans certains cas, les paiements au titre de la dette absorbent jusqu'à 50 % des recettes d'exportation, dépassant largement ce que les États consacrent à la santé et à l'éducation. Cette structure d'arbitrages budgétaires menace directement les objectifs de développement humain.
Pistes de sortie du piège :
- Accélérer la mobilisation des ressources intérieures, en particulier via l'élargissement des bases fiscales (ex. fiscalité foncière), la capture plus efficace des rentes liées aux ressources naturelles et la réduction des exonérations inefficaces.
- Renforcer la gestion de la dépense publique pour réorienter les budgets vers l'investissement social et productif.
- Utiliser pleinement le potentiel de la ZLECA pour dynamiser les exportations intra-africaines, diversifier les recettes en devises et réduire la vulnérabilité aux chocs externes.
- Privilégier les réformes structurelles de fond plutôt que des mesures d'urgence répétées qui déplacent le risque sans le résoudre.
Les organisations régionales africaines, à commencer par la CEDEAO mais aussi les autres communautés économiques, sont invitées à franchir un cap : passer des déclarations politiques à des coopérations concrètes, orientées projets et résultats. L'accent doit porter sur :
Un principe clé s'est imposé : l'intégration doit rester inclusive, garantissant que les petits États et les économies enclavées bénéficient effectivement des projets régionaux. De même, les flux financiers régionaux devraient être orientés d'abord vers l'investissement productif plutôt que vers l'accumulation d'endettement non soutenable.
Tous s'accordent : la Zone de libre‑échange continentale africaine est porteuse d'un potentiel transformateur majeur, mais son impact dépendra entièrement de la qualité de son exécution.
Conditions de réussite identifiées à l'AES :
La jeunesse africaine – moteur démographique et entrepreneurial – a été au centre des échanges. il va sans dire que sans création massive d'emplois décents, l'intégration commerciale restera une promesse inachevée.
Plusieurs voix ont rappelé que la trajectoire de l'intégration africaine est profondément ancrée dans l'histoire postcoloniale du continent et ne peut être évaluée selon les métriques ou le tempo d'expériences comme l'Union européenne. La ZLECA est un projet de long terme, dont les progrès seront graduels, différenciés et parfois non linéaires.
Les corridors de transport et de commerce – ports, voies ferrées, autoroutes, pipelines, dorsales numériques – peuvent devenir de puissants moteurs de transformation si, et seulement si, ils s'inscrivent dans des stratégies industrielles robustes. Pour éviter qu'ils ne se transforment en simples couloirs d'exportation de matières premières ou en enclaves extractives, les participants ont mis en avant plusieurs garde‑fous :
Les discussions sur le financement du développement ont déplacé le focus de l'aide traditionnelle vers la mobilisation des ressources nationales, la construction d'écosystèmes productifs et l'alignement des financements sur des stratégies régionales intégrées. Trois axes se détachent :
Les intervenants ont cité des expériences d'Amérique latine et d'Afrique du Nord où des stratégies localisées et inclusives – combinant gouvernance participative, capture de la valeur locale et partenariats public‑privé – ont permis d'améliorer la soutenabilité des investissements et leur appropriation sociale.
À l'issue de la 3e édition de l'AES, un consensus de travail émerge : la fenêtre est étroite mais réelle pour aligner politiques monétaires, budgétaires, commerciales et climatiques autour d'un objectif commun de croissance inclusive et soutenable.
Les prochaines étapes pourraient inclure la constitution de groupes de travail interrégionaux sur la dette et la mobilisation fiscale, des plateformes de données partagées pour la ZLECA, et des projets pilotes de corridors industriels verts.
Le continent africain a souvent été décrit comme " l'avenir ". Les participants à l'AES rappellent qu'il est aussi un présent qui exige des choix structurants. La qualité de la mise en œuvre, plus que la profusion de plans, déterminera si l'Afrique transforme ses vulnérabilités en leviers de prospérité partagée.
Omar El Oudi
Publié le 17/07/25 16:13
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